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Neutralité du fonctionnaire : une abstention n’est pas fautive

Public - Droit public général
07/12/2022
Dans une décision du 15 novembre 2022, le Conseil d’État annonce que le fait pour un enseignant-chercheur de ne pas contribuer à apaiser un climat de tension lors d’une manifestation étudiante ne constitue pas une méconnaissance de l’obligation de neutralité.
Cette affaire concernait l’attitude d’un enseignant-chercheur à l’Université de Nantes lors de manifestations étudiantes. Alors que des sessions d’examen étaient prévues à l’université, « des manifestants avaient poursuivi et invectivé plusieurs membres du personnel administratif en charge de l’organisation des examens ». Il était reproché à l’enseignant-chercheur de ne pas avoir « par ses propos et son attitude, contribué à apaiser le climat de tension ».
 
L’enseignant avait été condamné par la section disciplinaire du conseil académique de l’université à la sanction du retard à l’avancement d’échelon pour une durée de six mois. Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), sur appel, avait ensuite diminué la durée de la sanction à trois mois.
 
Le Conseil d’État, dans son arrêt rendu le 15 novembre 2022 (CE, 15 nov. 2022, n° 451523, Lebon T.), déclare que l’enseignant n’a pas méconnu son obligation de neutralité et annule la sanction.
 
L’obligation de neutralité figure à l’article 25, al. 2 du statut général de la fonction publique, désormais codifié à l’article L. 121-2 du Code général de la fonction publique, qui prévoit « Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent public est tenu à l'obligation de neutralité ».
 
Concernant le cas des enseignants-chercheurs, cette obligation de neutralité s’articule avec l’indépendance et la liberté d’expression prévues à l’article L. 952-2 du Code de l’éducation : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité. ».
 
Un second alinéa a d’ailleurs été ajouté à cet article par la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, qui précise : « Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs ». Le Conseil constitutionnel avait en effet consacré ce principe dans une décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984.
 
Le rapporteur public Raphaël Chambon considère qu’une abstention à apaiser une situation ne peut pas être considérée comme une faute, l’enseignant n’ayant aucune obligation positive d’agir pour apaiser la situation. Il en conclut que « le fait pour un fonctionnaire de ne pas contribuer à apaiser une situation de tension dont il n’est pas à l’origine ne saurait caractériser une méconnaissance de son obligation de neutralité dans l’exercice de ses fonctions ». Il est suivi par la Haute cour, qui annule la sanction et renvoie l’affaire au CNESER.
 
Les enseignants-chercheurs ne sont pas soumis exactement aux mêmes obligations que les autres agents publics. Le Conseil d’État avait déjà considéré, dans une décision de 1998 (CE, 28 sept. 1998, n° 159236, Lebon T.) que le devoir de réserve ne leur était pas opposable mais qu’ils étaient simplement tenus à des obligations de tolérance et d'objectivité.
 
Source : Actualités du droit