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Connaissance de l’intégralité du rapport d’expertise : censure constitutionnelle de l’absence d’accès par les parties non assistées par un avocat

Pénal - Procédure pénale
15/02/2019
Le Conseil constitutionnel déclare, avec report d’abrogation, l’inconstitutionnalité des dispositions du Code de procédure pénale ne permettant pas aux parties qui ne sont pas assistées par un avocat pendant l’instruction, d'exercer leur droit d’avoir connaissance de l’intégralité d’un rapport d’expertise.
 
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation (Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-90.024 ; voir Accès à l’intégralité du rapport d’expertise  : renvoi d’une QPC, Actualités du droit, 12 déc. 2018), le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la conformité constitutionnelle de l'article 167 du Code de procédure pénale. Rappelons que les requérants invoquaient une différence de traitement injustifiée entre les parties assistées d’un avocat et les autres, en ce qu’elles réservent aux avocats la possibilité de demander au juge d’instruction la copie intégrale de ce rapport par lettre recommandée. Et, partant, une méconnaissance du principe d’égalité devant la justice, du droit à un procès équitable et des droits de la défense.
 
Après avoir restreint le champ de la QPC aux mots « avocat des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 167 du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel rappelle la teneur des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et le principe selon lequel « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect du principe des droits de la défense ».
 
Puis il fait état des dispositions applicables : selon l’article 166 du Code de procédure pénale, lorsque les opérations d’une expertise ordonnée par un juge d’instruction sont terminées, l’expert rédige un rapport qui doit contenir la description de ces opérations ainsi que ses conclusions. Selon l’article 167 du même code, le juge d’instruction doit donner connaissance de ces conclusions aux parties. En application du deuxième alinéa de cet article, il peut le faire sous la forme d’une notification par lettre recommandée. Si les avocats des parties le demandent, l’intégralité du rapport leur est notifiée par lettre recommandée. Dans tous les cas, le juge d’instruction fixe un délai aux parties pour leur permettre de présenter des observations ou formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.

Les dispositions contestées ont donc bien, selon le Conseil constitutionnel, « pour effet de priver les parties non assistées par un avocat du droit d’avoir connaissance de l’intégralité d’un rapport d’expertise pendant le délai qui leur est accordé pour présenter des observations ou formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise ».
 
Or, dans la mesure où les parties ont la liberté d’être assistées d’un avocat ou de se défendre seules et sauf à ce qu’une restriction d’accès soit jugée nécessaire au respect de la vie privée, à la sauvegarde de l’ordre public ou à l’objectif de recherche des auteurs d’infractions, « toutes les parties à une instruction doivent pouvoir avoir connaissance de l’intégralité du rapport d’une expertise ordonnée par le juge d’instruction afin de leur permettre de présenter des observations ou de formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise ».
 
Dès lors que la différence dans l’accès au rapport d’expertise résultant des dispositions contestées n’est pas limitée aux cas où elle serait justifiée par la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l’ordre public ou l’objectif de recherche des auteurs d’infractions, le principe d’égalité devant la justice est méconnu.
Par conséquent, les mots « avocats des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 167 du Code de procédure pénale doivent être déclarés contraires à la Constitution.
 
En ce qui concerne les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel estime qu’une abrogation immédiate aurait pour effet d’accorder aux parties sans avocat le droit d’obtenir la notification de l’intégralité de tous les rapports d’expertise, « y compris lorsque cette communication est susceptible de porter atteinte à la protection du respect de la vie privée, à la sauvegarde de l’ordre public ou à l’objectif de recherche des auteurs d’infraction ».
Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement et il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications qui doivent intervenir pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de l’abrogation des dispositions contestées.
Source : Actualités du droit